Dans le contexte actuel de dérèglement climatique aggravé, d’épuisement des ressources naturelles et d’atteintes à l’environnement se sont développés, depuis quelques années, les concepts de recyclage et plus largement d’économie circulaire. Ces concepts, sous les habits neufs de la rhétorique contemporaine, reprennent un principe – le remploi – aussi ancien que les sociétés humaines, mais qui a été perdu à partir de la Révolution industrielle et, surtout, du développement de la société dite de consommation durant le second XXe siècle.
Le domaine de la construction n’a pas échappé à ces évolutions. Durant le XXe siècle, dans les pays les plus industrialisés, s’est imposée progressivement une architecture reposant essentiellement sur des matériaux neufs, standardisés, produits à l’échelle industrielle, reléguant de fait à un usage désormais marginal l’utilisation de matériaux de seconde main dans la construction. Aussi est-il d’autant plus important d’interroger le temps long de l’Histoire – de la Préhistoire récente au XXe siècle – pour analyser le phénomène récurrent des remplois dans la construction.
Lors du colloque international « Remploi : matérialité et symbolisme, de la Préhistoire au XXe siècle », organisé à Nantes les 27, 28 et 29 novembre 2025, sera mise en évidence la part prise, dans les sociétés anciennes, par les matériaux de remploi (pierre, bois, terre, métal, verre, etc.) dans la production architecturale. Cette dernière sera entendue au sens large : des édifices « mineurs » aux plus grands ensembles monumentaux, en passant par les différentes formes d’habitat. La perspective chronologique sera celle du temps long, de la Préhistoire récente au XXe siècle, et l’aire principale d’étude correspondra à l’Europe.
Il s’agira, en sollicitant les approches des archéologues, des historiens de l’architecture, des historiens des textes, voire en combinant celles-ci, d’interroger l’ampleur et les modalités du phénomène. Si la définition de ce remploi ne semble pas poser de difficulté (mise en œuvre d'éléments, de matériaux provenant d'une construction antérieure), le défi sera d'élaborer un discours accessible à des traditions académiques parfois très différentes.
Plusieurs axes seront privilégiés quant aux raisons, parfois polymorphes, de cette mise en œuvre. Ce remploi peut être envisagé dans sa stricte matérialité, dans ses dimensions techniques et architectoniques : polissoirs fixes inclus dans les parois de dolmens angevins, orthostates du grand cairn de Barnenez (Finistère) provenant d'une seule dalle fracturée ou dalles rainurées en remploi pour constituer les parois de certains dolmens angoumoisins, remploi de matériaux visigothiques dans les constructions omeyyades de péninsule Ibérique, remploi de chapiteaux antiques à Sainte-Marie du Trastévère (Rome) ou de bas-reliefs antiques dans le palais califal de Madinat al-Zahra (Cordoue), etc. Quels matériaux sont remployés ? Sont-ils retaillés et modifiés ? Où sont-ils replacés dans la nouvelle construction ? Lorsque le remploi est d’usage commun dans la construction, comme c’est le cas, par exemple, pour les constructions élitaires au Moyen Âge ou dans l’habitat paysan jusqu’au début du XXe siècle, comment le matériau est-il à nouveau mis en œuvre ?
Le remploi peut aussi être mis en œuvre pour des questions économiques : remploi de matériaux lors de la reconstruction de la cathédrale d’Orléans après les guerres de religion, pillage des marbres du Colisée du Moyen Âge au XVIe siècle. Pour les périodes plus anciennes et au corpus documentaire moins fourni, la question méritera d’être posée : la construction de Calatayud (Aragon) à partir de matériaux de la celtibère et romaine Bilbilis à compter du IXe siècle répond-elle uniquement à des motivations d’ordre économique ? Le remploi peut enfin répondre à des logiques symboliques, idéologiques ou même politiques parfois clairement affirmées par la recherche : remploi de matériaux dans la mosquée des Omeyyades de Cordoue interprété comme un moyen de légitimation de la dynastie ; incrustation de bas-reliefs antiques sur la façade de la villa Borghèse à Rome, symboles de la puissance de cette famille papale. Le remploi répond-il à des logiques similaires selon la nature de la construction, religieuse, civile, militaire, etc. ?
Parfois aussi, les logiques du remploi font question : dans le cas des mégalithes, le caractère opportuniste d'une telle action peut être questionné lorsque ces matériaux portent des représentations symboliques qui sont mobilisées pour la construction d'un nouvel édifice. Est-ce l'enveloppe matérielle de ces blocs de pierre qui a été mobilisée, ou plutôt les êtres, humains et non-humains, qui y sont attachés ?
On le voit, les approches proposées sont multiples : lors du colloque, les perspectives et les exemples de diverses périodes sollicités par les différentes communications seront présentés de manière croisée, afin de s’enrichir mutuellement et de parvenir à un discours commun à l’ensemble de nos pratiques académiques.